En septembre 2020, une fuite massive de rapports sur des crimes financiers potentiels déposés par des banques auprès du gouvernement américain a fait les gros titres dans le monde entier. Connus sous le nom de « FinCEN Files », ils ont révélé un système financier mondial dans lequel des fonds illicites semblaient circuler en toute impunité, bien que les banques et les gouvernements aient conscience de l’existence de ces flux. Pour beaucoup, cela suggère que le cadre mondial de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT) n’est pas adapté et qu’il peine à gérer les risques de blanchiment d’argent et de criminalité financière.
Si la réaction du grand public, déjà engourdi par les nouvelles successives de malversations bancaires, a été modérée, de nombreuses banques américaines et européennes impliquées dans la fuite ont néanmoins vu leur réputation entachée. Les gouvernements et les autorités de régulation en ont pris davantage note, cependant, et il semble probable que la fuite des fichiers encouragera les efforts, tant au niveau local qu’international, pour renforcer le régime LCB-FT.
Les dossiers FinCEN : Que s’est-il passé ?
Dans le cadre de leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, les banques sont tenues de surveiller le comportement de leurs clients et de signaler toute activité suspecte, par le biais de rapports d’activité suspecte (SAR), aux cellules de renseignement financier (CRF) nationales. Les fichiers FinCEN concernaient un nombre important de déclarations d’activités suspectes qui avaient été signalées au Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), la CRF américaine du Trésor américain, mais qui ont ensuite été divulguées aux journalistes du média en ligne Buzzfeed et du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).
La décharge de données contenait plus de 200 000 déclarations de soupçon entre 1999 et 2017, couvrant des transactions d’une valeur de 2 000 milliards de dollars. Le reportage médiatique autour de la fuite s’est concentré sur la révélation que les banques et les institutions gouvernementales étaient conscientes que de grandes quantités d’argent potentiellement sale circulaient dans le système bancaire international, mais que peu de choses étaient faites pour l’entraver. Comme on pouvait s’y attendre, la fuite a suscité des réactions diverses de la part des médias, des régulateurs et du secteur financier et bancaire.
Un impact significatif en Europe
Bien que les déclarations de soupçon en question aient été déposées aux États-Unis, elles mentionnent non seulement des banques américaines, mais aussi plusieurs grandes banques européennes, comme Danske et Commerz, et d’autres banques mondiales ayant des bases européennes, comme HSBC, Société Générale, Deutsche et Barclays. En particulier, l’ICIJ a indiqué que plus de 60 % des déclarations de soupçon mentionnent la Deutsche Bank, mais pas nécessairement de manière exclusive dans chaque rapport. Sur les 2 000 milliards de dollars (1 680 milliards d’euros) de transactions signalées comme suspectes par les institutions financières, environ 1 300 milliards de dollars (1 091 milliards d’euros) ont transité par la Deutsche Bank.
Les rapports se sont concentrés sur une série de risques de criminalité financière impliquant des banques européennes, en particulier leur vulnérabilité à l’argent sale provenant de fonctionnaires corrompus et d’oligarques d’Europe centrale et orientale. Un exemple concerne les frères Rotenberg, qui entretiennent des liens étroits avec Vladimir Poutine, et ont été placés sur la liste des sanctions américaines en 2014. Les Rotenberg ont ouvert un compte chez Barclays en 2008, en utilisant une société écran, et ont continué à effectuer des transactions jusqu’en 2016, même après l’imposition de sanctions. En juillet 2020, le Sénat américain a accusé les Rotenberg d’avoir utilisé cette société écran pour acheter secrètement des millions de dollars d’œuvres d’art dans le but d’échapper aux sanctions.
En outre, les dossiers du FinCEN ont également mis en évidence le risque que de nombreuses banques européennes soient potentiellement exploitées par la grande criminalité organisée. La succursale estonienne de la Danske Bank, ainsi que la Deutsche Bank, auraient établi des relations avec des réseaux de sociétés écrans créées dans le seul but de dissimuler l’identité de dirigeants du crime organisé. Les rapports ont démontré le rôle important joué par les sociétés écrans dans l’acheminement de l’argent liquide à travers le système international, ainsi que celui des prestataires de services aux entreprises – souvent basés au Royaume-Uni – qui les ont créées.
La réponse du secteur des services financiers
Plusieurs des banques européennes impliquées dans le scandale n’ont pas publié de réponses publiques, mais celles qui l’ont fait ont eu tendance à se concentrer sur la nature historique des rapports. La Deutsche, par exemple, a indiqué que les rapports concernaient des défaillances antérieures au sein de la banque, identifiées en conjonction avec une action de mise en application de la loi LCB-FT de 2016 aux États-Unis, qui a donné lieu à un programme de remédiation visant à remédier à ces faiblesses. D’autres observateurs experts ont suggéré que les dossiers n’étaient pas particulièrement choquants, voire qu’ils démontraient que le système de LCB-FT fonctionnait expressément comme prévu, les banques se contentant de signaler leurs soupçons aux autorités, sans entreprendre d’actions spécifiques pour stopper les flux.
John Cusack, anciennement responsable mondial de la criminalité financière chez Standard Chartered, a déclaré que les banques « plaident en faveur d’une réforme depuis quelques années, et en particulier d’une réforme des procédures de recherche et de sauvetage ». Il a fait remarquer qu’en cas de succès, cela aiderait non seulement les banques mais aussi les services de répression, en réduisant « le nombre probable de déclarations de soupçon déposées » mais aussi en garantissant qu’elles « seraient de bien meilleure qualité… et axées sur les domaines prioritaires pour… les services de répression ». Cusack a fait valoir que la majorité des clients concernés par les déclarations de soupçon ne font pas l’objet d’une enquête, et encore moins de poursuites, et que si les banques fermaient des comptes sur la seule base de l’activité des déclarations de soupçon, nombre d’entre eux seraient fermés inutilement, provoquant l’exclusion financière de clients économiquement marginaux.
Un appel à l’action pour les législateurs européens
Bien que les réactions du secteur telles que celles de Cusack aient été courantes – et exactes en termes d’obligations pour les banques – la classe politique européenne s’est montrée généralement peu favorable à l’idée que le système soit seul en cause. Ces réactions ont bien sûr été encadrées en partie par les retombées des récents scandales bancaires européens impliquant des banques nordiques et baltes, qui ont réduit la bonne volonté à l’égard du secteur des services financiers La succession de scandales, culminant avec les dossiers FinCEN, a renforcé le désir au sein de l’Union européenne (UE) de prendre des mesures plus agressives en matière de LCB-FT,
En mai 2020, la Commission européenne a publié des propositions visant à créer une autorité européenne centralisée de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ainsi qu’un règlement unique, plutôt que l’approche actuelle de la directive sur la lutte contre le blanchiment de capitaux. Bien que les dossiers FinCEN n’aient pas provoqué cette évolution, ils ont au moins donné une impulsion supplémentaire à la mise en œuvre rapide de la réforme.
Ce que les institutions financières européennes peuvent attendre
La mise en œuvre définitive du plan d’action de l’UE en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme prendra du temps. Toutefois, il marque le début d’un changement radical de la réglementation en matière de LCB-FT dans l’UE, qui s’éloigne des réglementations largement standardisées, des changements lents et d’une application uniquement nationale des réglementations.
L’évolution générale des approches de l’UE en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, à travers les directives successives sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, a consisté à faire entrer davantage de secteurs dans le champ d’application de l’obligation et à accroître la profondeur des obligations du secteur privé. Ces développements promis au sein des autorités réglementaires sont susceptibles de dynamiser davantage cette approche. La leçon à tirer du FinCEN Files et de ses suites est que l’on attendra des entreprises une réponse plus intelligente et plus agile aux risques de criminalité financière à l’avenir.
Publié initialement 16 mars 2021, mis à jour 18 janvier 2024
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