Au cours des douze derniers mois, l’Union européenne (UE) a réfléchi à la manière de renouveler sa lutte contre le blanchiment d’argent (LCB) suite à une vague de défaillances des contrôles anti-blanchiment au sein de banques d’Europe du Nord et aux scandales associés à propos d’éventuels flux illicites via ces mêmes établissements.
Jusqu’à présent, les discussions ont porté sur la possibilité de créer une agence de lutte contre le blanchiment d’argent au niveau de l’UE qui aurait des pouvoirs d’intervention directe au niveau des États ainsi que sur l’utilisation de « règlementations », à savoir des règles créées par l’UE ayant une influence directe sur les États membres et par opposition aux « directives » qui permettent aux gouvernements de transposer leurs exigences dans les lois nationales à leur guise et dans un délai plus long.
Il s’agirait là d’un changement de stratégie majeur pour l’UE qui, au cours des trente dernières années, s’est appuyée sur une succession de directives connues sous le nom de directives anti-blanchiment (LCB) pour mener sa stratégie de lutte contre le blanchiment d’argent. Mais intéressons-nous justement à ces directives LCB.
Les origines de la première Directive LCB
Publiée en 1991, la première Directive sur la lutte contre le blanchiment d’argent (LCB) est antérieure à la transformation de la « Communauté européenne» d’origine en Union européenne en 1993. On peut même dire que la première Directive LCB a été l’un des principaux fruits politiques de cette période charnière car la Commission européenne, organe bureaucratique de la Communauté, a cherché à étendre ses domaines de compétence politique. La LCB avait déjà fait l’objet d’actions intergouvernementales ponctuelles de la part de gouvernements européens dans les années 1980, mais la Commission y voyait un domaine majeur pour y créer de la valeur ajoutée en adoptant une approche multilatérale.
Dans le même temps, l’actualité politique européenne plus large encourageait aussi la coopération et l’action internationales en matière de lutte LCB en raison des préoccupations politiques croissantes concernant le trafic de stupéfiants. Le Parlement européen a ainsi adopté de nombreuses résolutions et demandé « l’établissement d’un programme communautaire d’envergure mondiale pour lutter contre le trafic de drogue et intégrant des dispositions sur la prévention du blanchiment d’argent », ceci en écho aux préoccupations des gouvernements et des corps législatifs des États membres.
L’ampleur du problème et la nécessité d’agir ont également été reconnues au niveau mondial. Les Nations unies ont adopté leur « Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes » (« Convention de Vienne ») en décembre 1988 tandis qu’en juillet 1989, le G7 des principales nations industrialisées, rejoint par le président de la Commission, a créé le Groupe d’action financière (GAFI), organisme international de normalisation en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux.
La première Directive
La première Directive LCB (1AMLD) a été approuvée par le Conseil des ministres de l’Union européenne le 10 juin 1991, la date limite de sa transposition dans les législations nationales des États membres étant fixée au 1er avril 1994. Commun à toutes les « directives », ce processus de transposition a permis aux gouvernements nationaux d’envisager la manière de transposer les exigences de la Directive dans leur droit national en aménageant des périodes de consultation avec les parties concernées. À l’arrivée, les lois et règlements nationaux avaient comme un « air de famille » dans la mesure où, au-delà des normes minimales requises, une certaine souplesse était prévue, notamment pour durcir la réglementation nationale si l’État membre l’exigeait.
La première Directive LCB (1AMLD) était donc autant un outil rhétorique qu’une directive politique enjoignant les États membres à prendre au sérieux la lutte contre le blanchiment d’argent. Elle reconnaissait et insistait sur la nécessité d’une approche internationale du blanchiment d’argent et sur le fait que même si les États-nations avaient des responsabilités évidentes, une approche purement nationale ne tenant compte ni de la coordination ni de la coopération internationales n’aurait que des effets très limités. »
Le GAFI avait publié sa première série de 40 recommandations en avril 1990 qui a eu une influence non négligeable sur le contenu des premières directives LCB et aussi des suivantes. L’aspect fondamental de la 1ère Directive LCB (1AMLD) concernait l’obligation pour les États membres de criminaliser le blanchiment d’argent tout en initiant un processus d’imposition d’obligations spécifiques en matière de lutte LCB à des acteurs du secteur privé considérés comme les mieux placés pour jouer le rôle de « gardiens » du système financier. Tout comme les 40 recommandations, la première Directive LCB (1AMLD) visait les banques en tant que principales « entités obligées » du secteur privé et désignées « établissements financiers et de crédit » dans la Directive contre blanchiment d’argent.
Cette Directive exigeait des États membres qu’ils légifèrent pour s’assurer que ces entités obligées mettent en place des procédures cohérentes d’obligation de vigilance à l’égard de la clientèle (CDD) et de connaissance du client (KYC) lors de l’intégration, ainsi qu’à intervalles réguliers par la suite, et aussi, point important, qu’elles conservent des traces de la relation jusqu’à cinq ans après sa fin.
Elle exigeait aussi que ces entités obligées supervisent l’activité de leurs clients pour s’assurer que leurs transactions satisfaisaient bien aux obligations de vigilance CDD, de même que pour identifier les transactions « suspectes» et les signaler aux autorités nationales, une exigence qui trouve elle-même son origine dans la loi américaine sur le secret bancaire (BSA) de 1970.
Même si elles n’exigent pas spécifiquement une réponse technologique, ces deux obligations ont effectivement créé ce que nous connaissons aujourd’hui comme l’exigence de « supervision des transactions ». Bien que de nombreuses entités obligées aient d’abord cherché à y répondre par des contrôles manuels, il est vite devenu évident que le volume des transactions transitant par les banques de détail et commerciales nécessitait une réponse automatisée. Cependant, ces plateformes étaient alors extrêmement rudimentaires et reposaient sur des règles primaires pour détecter les cas douteux.
Une directive qui a ses limites
La 1ère Directive LCB (1AMLD) s’est avérée une première étape positive pour identifier et atténuer un problème qui avait été largement ignoré en tant que question politique majeure et cohérente en Europe jusqu’à la fin des années 1980. Toutefois, ses limites sont rapidement devenues évidentes.
Au fur et à mesure que les professionnels comprenaient mieux le blanchiment d’argent, il devenait évident que l’accent mis par la Directive sur les banques était trop spécifique. En effet, les blanchisseurs s’appuyaient sur un large éventail de secteurs et d’entreprises autres que le secteur financier pour placer, déposer et faire entrer des fonds illicites au sein du système financier légitime. D’autres formes de criminalité « sous-jacente », à savoir les crimes générant des fonds à blanchir, notamment la contrebande d’armes dans les conflits des Balkans dans les années 1990, ont également pris une importance politique croissante.
Plus les autorités européennes s’intéressaient aux activités des groupes criminels organisés (GCO), plus elles voyaient comment ces groupes étaient impliqués dans de nombreux types de crimes dont celui du trafic de drogue, toutes ces activités générant d’importants revenus.
2ème Directive LCB (2AMLD) : s’adapter aux nouvelles recommandations
Les autorités de l’UE ont ratifié la 2ème Directive LCB en décembre 2001, environ trois mois après les attaques terroristes du 11 septembre aux États-Unis. Toutefois, le contenu de cette Directive, qui avait été convenu quelque temps auparavant, était davantage dicté par la nécessité de combler les lacunes de la première Directive identifiées au cours de la décennie précédente, que par les terribles événements qui se produisirent alors outre-Atlantique.
À la suite de la révision des 40 recommandations du GAFI en 1996, cette directive élargissait et définissait l’éventail des infractions sous-jacentes liées au blanchiment de capitaux et précisait que les déclarations de soupçons devaient être communiquées à une « cellule de renseignement financier » nationale spécialisée. Reconnaissant aussi que les blanchisseurs de capitaux n’utilisaient pas seulement les banques pour déplacer des fonds illicites, la Directive a donc élargi le champ d’application de l’obligation aux établissements non bancaires.
Furent donc également concernées les entreprises de transfert de fonds collectivement connues sous le nom d’« établissements financiers non bancaires » (MSB) ainsi que les entreprises et professions non financières désignées (DNFBP) pouvant être impliquées dans des transactions financières. Les avocats constituent un ajout particulièrement notable, leur droit au secret professionnel n’étant plus une protection s’ils participent directement au blanchiment d’argent ou fournissent des informations sur la manière de blanchir des capitaux.
3ème Directive LCB (3AMLD) : répondre au terrorisme
L’UE a commencé à s’attaquer aux questions de financement du terrorisme dans le cadre de la directive suivante, à savoir la 3ème Directive LCB (3AMLD) entrée en vigueur en 2005. Elle est entrée en vigueur bien plus rapidement que la deuxième Directive LCB (2AMLD), principalement en raison de la nécessité de réagir rapidement (selon les normes européennes) à la nouvelle « guerre contre le terrorisme. »
Certains États membres de l’UE avaient déjà pris des mesures législatives nationales dans ce domaine avant et après le 11 septembre, notamment la loi britannique sur le terrorisme de 2000 tandis qu’en 2003 le GAFI a révisé ses recommandations pour tenir compte de ses nouvelles responsabilités en tant qu’organisme international de normalisation de la lutte contre le financement du terrorisme (FT) et contre le blanchiment d’argent en créant neuf « recommandations spéciales » sur le financement du terrorisme. Ces nouvelles recommandations ont façonné le contenu FT pertinent de la 3ème Directive LCB (3AMLD), y compris les mesures d’obligation de vigilance pour s’assurer que les entités obligées ne fournissaient pas de services à des terroristes ou à des groupes terroristes désignés.
Parallèlement au terrorisme, la 3ème Directive LCB a également poursuivi l’évolution entamée lors du passage de la première à la deuxième Directive en étendant les obligations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent à d’autres secteurs, notamment les comptables et les casinos. Cette nouvelle version a également vu l’introduction de l’approche fondée sur le risque (RBA) pour les procédures de lutte contre le blanchiment d’argent, ce qui a permis de varier dans une certaine mesure l’application de l’obligation de vigilance à l’égard de la clientèle (CDD) selon le profil de risque du client, du produit et de plusieurs autres facteurs.
L’obligation CDD se situait donc plutôt dans un spectre allant de l’obligation de vigilance simplifiée (SDD) à l’obligation de vigilance accrue (EDD) qui s’intéressait davantage aux sources de richesse et de revenus d’un client à risque.
Reconnaissant la nécessité de « motiver » les entités obligées, la 3ème Directive LCB (3AMLD) a également introduit des sanctions pour les infractions à la législation sur la lutte contre le blanchiment d’argent. En 2005, Mariano Salas, de la Direction générale du marché intérieur et des services de la Commission, a fait remarquer que ces sanctions seraient à la fois « efficaces, proportionnées et dissuasives. »
Cependant, la Directive est restée muette sur le calcul de ces pénalités, confiant la question aux législations nationales. Les sanctions firent l’objet de futures controverses sur lesquelles l’UE a finalement dû revenir et que nous examinerons plus en détail dans la deuxième partie de cet article de blog.
Si vous souhaitez lire la deuxième partie de cet article et en savoir plus sur les 4ème, 5ème et 6ème Directives LCB (4AMLD, 5AMLD et 6AMLD), nous vous invitons à cliquer sur le lien ci-dessous.
Publié initialement 24 septembre 2020, mis à jour 25 avril 2023
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